La GUARACHA;
Guaracheras et Guaracheros

A Cuba, au XVIII° siècle, les théâtres abondent et particulièrement dans la capitale. Sur les planches les genres les plus divers sont interprétés. Des compagnies viennent de France, d'Espagne, d'Italie, mais les Cubains rapidement organisent les leurs, créant à l'occasion des genres créoles.


Célèbre Théâtre Villanueva à la findu XIX° siècle.


Le Théâtre Bouffe plait beaucoup aux cubains qui au milieu du XIX° siècle vont organiser leurs propres compagnies et cubaniser ce Théâtre Bouffe. Partout dans Cuba naît un engouement pour ce genre. Les personnages traditionnels sont transformés et à leur place naissent des personnages criollos. Les gitans, mendiants, catalans du théâtre satirique espagnol sont remplacés par le "nègre", le mulâtre, l'ivrogne, le guajiro criollo -paysan créole-. Les femmes ne sont pas absentes. Chaque personnage est caricaturé à l'extrême. Mais la critique porte aussi sur les évènements qui surgissent et elle atteint le régime espagnol et l'Espagne elle-même, notamment dans les années qui ont précédé la guerre d'Indépendance.


Dans ce genre théâtral, la musique est largement présente, des personnages grattent le güiro , d'autres la guitare... Le chant a sa place également au sein de la pièce -la chanson garde alors un rapport avec l'œuvre- ou dans les entractes. Dans ce dernier cas, confiée à un cantante ou un duo de cantantes, elle est sans rapport direct à la pièce mais reste satirique ou critique. C'est cette forme de chanson que l'on va nommer Guaracha dès le XIX° siècle.
Sur le plan musical la guaracha résulte bien d'une transculturation où sont présents des traits européens comme par exemple la tonadilla du sud espagnol, mais aussi africains puisqu'on y trouve comme dans d'autres genres musicaux provenant de cette fusion culturelle le couple question/réponse ou soliste/choeurs.
Elle s'inspire aussi de formes musicales appréciées par les noirs et qui s'accompagnent de danses rejetées par l'élite blanche, le Chuchumbé, le Sacamandú

Avant même la fin du siècle les guarachas sortent des théâtres et deviennent des chansons des rues et même de salons . Les guaracheros bénéficient du soutien de la guitare, puis plus tard du tres, du güiro ou d'autres percussions mineures. La critique, la satire s'élargit alors aux personnages politiques cubains, aux mesures prises par les gouvernants. D'une manière générale cette guaracha n'a pas bonne presse auprès des élites intellectuelles et évolue plutôt dans les lieux populaires. On danse aussi sur la guaracha dans les lieux recherchés par ceux qui ne souhaitent pas se montrer s'encanaillant. Parmi les très anciennes guarachas figurent "Juan Quiñones", "La mulata rosa", "Que buena hembra" ou "El negro José Caliente".
La guaracha devient partie intégrante du répertoire des cantantes qui errent de cafés en cabarets à partir de la fin du XIX° siècle.


Au début du XX° siècle naissent de la voix de ceux-ci des guarachas historiques, critiquant férocement les mesures des gouvernants. "El cierre a las seis" répond aux mesures de couvre-feu prises par le dictateur Menocal. "El Servicio Obligatorio" créé par Manuel CORONA fait référence à l'attitude des Cubains devant la menace de mobilisation pour participer à la Première Guerre Mondiale : Tous ceux qui vivent avec une concubine... se précipitent dans le mariage pensant ainsi échapper à la réquisition annoncée !
Les toutes premières guarachas enregistrées semble avoir été "Tin Tan" sur un cylindre Edison en 1906 par l'un de ces cantantes, Floro ZORILLA et "Los Frijoles" la même année peut-être par le ténor Román MARTÍNEZ.

Manuel Corona.

Mais, la guaracha évolue. Sous l'influence du Son, passé des campagnes à la ville, la structure question/réponse tend à se transformer derrière une exposition introductive. Le soliste improvise de plus en plus fréquemment. Le phénomène permanent de la transculturation conduit à une influence de plus en plus grande du Son sur la guaracha qui à tendance à accélérer et marquer davantage son rythme et finit le plus souvent par adopter la structure du cinquillo .

Ces transformations aboutissent à ce que progressivement la guaracha s'inscrive dans le répertoire des groupes de Son, d'abord avec la juxtaposition d'un montuno à une guaracha. On l'appelle parfois guaracha-Son. Mais rapidement on ne reconnaît plus la guaracha que par l'aspect critique de son texte tandis que sur le plan rythmique il s'agit d'un véritable Son.


Parmi les cantantes, les principaux diffuseurs de la guaracha ont été María Teresa VERA, Bola de Nieve , le trio de Servando DÍAZ, le "Trio ORIENTAL" et Ñico SAQUITO avec son groupe "Los GUARACHEROS de ORIENTE".
Au cours des années trente le processus de fusion entre guaracha et Son atteint son point de non-retour. SAQUITO est l'un des principaux responsables de cette interpénétration. Ce nouveau style de guaracha est d'accès plus facile pour les grands ensembles qui vont alors l'inclure de manière systématique dans leur répertoire.


Parmi les guaracheros soutenus par les grands orchestres, la Reina Guarachera a été et reste toujours Celia CRUZ et chez les voix masculines Orlando "Cascarita" GUERRA notamment lors de sa présence dans l'orchestre de Julio CUEVA; Roberto FAZ avec le conjunto "CASINO" . Tito GÓMEZ et la "RIVERSIDE" ; Alberto RUÍZ au sein de "KUBAVANA" ont aussi interprété avec brio une guaracha qui durant les années quarante devient aussi dansante que le Son.

La décade précédant la Révolution continue d'être une période importante pour la guaracha qui s'illustre dans des compositions de Agustín RIBOT, Tony TEJERA, Silvestre MÉNDEZ.
Mais dans la période post-révolutionnaire des années soixante et soixante-dix elle n'échappe pas au phénomène qui touche l'ensemble de la musique cubaine, le raz de marée du rock européen et américain et l'entrée des instruments électriques.

Les dernières décennies du XX° siècle, et principalement lorsque la musique cubaine va s'élancer à la conquête de la planète, voient la guaracha inscrite au répertoire de tous les septetos, conjuntos et orchestres qui la diffusent au cours de leurs tournées internationales.


© Patrick Dalmace

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Son de la Loma.